LE BRAILLE ET LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DE LA TELEMATIQUE :

problèmes et perspectives

de Philippe CHAZAL

Directeur du Centre de Formation et de Rééducation Professionnelle de l'Association Valentin Haüy - PARIS

I - 1825-1975 : LE BRAILLE NAIT ET EVOLUE.

 

Alors que les premiers hiéroglyphes apparurent en Egypte à l’époque thinite entre 3.200 et 2.778 avant notre ère, les aveugles durent attendre presque quatre millénaires supplémentaires avant que Louis Braille, lui-même non-voyant, n'invente pour eux en 1825, le système d'écriture et de lecture qui porte son nom.

 

Quelques années auparavant, vers 1780, Valentin HAÜY fut le premier à concevoir et à appliquer le projet d'apprendre à lire aux aveugles au moyen de lettres en relief gaufrées sur papier, dont le déchiffrage était lent et fastidieux, l'écriture manuscrite restant par ailleurs pratiquement impossible.

 

Durant les guerres napoléoniennes, le capitaine d'artillerie Charles BARBIER DE LA SERRE conçut un procédé d'écriture rapide et secrète en relief pour permettre aux officiers en campagne de déchiffrer des messages dans l'obscurité. Il s'agissait d'une sonographie dont les signes s'inscrivaient dans une matrice de douze points répartis en deux colonnes de six ; l'écriture pouvait se faire aisément grâce à une tablette et à un poinçon. En 1821, ce système est mis à l'essai à l'Institution des Jeunes Aveugles crée en mai 1784 et nationalisée par décret du 28 septembre 1791. Il présentait cependant trois inconvénients majeurs : son caractère sonographique et non alphabétique qui privait les aveugles de l'orthographe ; il ne comportait aucun signe pour la ponctuation ni pour représenter les chiffres ; enfin, la hauteur du signe n'en permettait pas une lecture tactile synthétique.

 

En 1829, Louis Braille rédige et publie une explication de son procédé d'écriture en relief, dont une seconde édition paraîtra en 1837 avec les changements apportés pour l'écriture de la musique.

 

Il convient en effet de souligner ici que les 64 combinaisons réalisables à partir des six points de base seront utilisées pour représenter non seulement l'alphabet complet mais aussi les lettres accentuées, les chiffres et ponctuations, pour écrire la musique (de façon linéaire), les formules mathématiques, les langues étrangères. Des systèmes d'abrégé et de sténographie basés sur la contraction des mots seront mis au point dans différentes langues afin de limiter l'encombrement du braille et d'en accélérer l'écriture et la lecture.

 

Prenons un exemple pour montrer qu'un même caractère peut ainsi avoir plusieurs significations : les points 2-4-6 employés simultanément représentent :

Bien entendu, ce même caractère aura encore d'autres significations dans les alphabets ou abrégés étrangers, seule la notation musicale a une portée universelle ; il existe deux notations mathématiques essentielles ce qui ne facilite pas les échanges entre nations. A l'intérieur d'un même pays, il est encore plus regrettable que la notation braille ne soit pas totalement unifiée : en France par exemple, la ponctuation "point" est représentée par le point 3 par certains par les points 2-5-6 par d'autres, ce qui complique considérablement l'apprentissage du braille.

En dépit de ces difficultés et de quelques autres que nous examinerons plus loin, le système mis au point par Louis Braille a franchi les frontières et résisté au temps, le nom de son génial inventeur est aujourd'hui passé dans le langage commun. En consultant l'ouvrage "l'Emploi du Braille dans le Monde" publié par l'UNESCO en 1990 on relève 65 alphabets différents dont 29 pour les seules langues européennes. Cette pérennité du braille s'explique non seulement par l'autonomie qu'il procure aux aveugles dans leur vie quotidienne, sociale, culturelle et professionnelle mais aussi par le fait que, depuis 1825, ce système n'est pas resté statique mais a, au contraire‚ évolué‚ en permanence :

Son écriture, s'est d'abord faite l'aide de "tablettes" en boisé métal, puis plus récemment plastiques, aux dimensions variables ; le papier est perfor, par le poinçon qui, guidé par la "réglette" entre dans les cuvettes ou sillons de la tablette; celle-ci, qui peut sembler archaïque, reste pourtant aujourd'hui encore utilisée par la majorité des aveugles qui la transportent aisément dans une serviette. Un inconvénient majeur : le sens des lettres braille est forcément inversé entre l'écriture et la lecture puisque la feuille de papier est retournée, ce qui ne facilite pas l'apprentissage du système par les aveugles tardifs. La tablette est donc de moins en moins utilisée pour débuter la formation des adultes.

( Dès le milieu du siècle dernier, les premières machines mécaniques à écrire le braille firent leur apparition dans différents pays ; il fallut cependant attendre les années 1960 pour que, sous l'impulsion notamment de Serge GUILLEMET, l'emploi de ces machines soit généralisé dans les écoles pour l'enseignement aux enfants. Avec elles, plus besoin de retourner les lettres, le papier étant perfor, par des pointes montantes fixées sur un curseur qui se déplace de gauche à droite. Les années 80 virent apparaître les premières machines électriques qui améliorent un peu la vitesse de frappe grâce à des touches plus sensibles, mais présentent l'inconvénient d'être assez bruyantes ; la principale unité de fabrication reste l'école PERKINS près de Boston (U.S.A), qui, depuis 1951, produit quelques 700 machines par an, chiffre qui reste stable malgré le développement des moyens électroniques dont nous reparlerons plus loin. On trouve aussi des usines en différents pays comme l'Italie, l'Allemagne ou en Europe de l'est. Le coût de ces équipements, moins élevé que celui des ordinateurs adaptés, leur relative portabilité et leur solidité souvent éprouvée, en font des instruments encore très utilisés.

 

( L'encombrement du livre braille, les délais pour sa transcription, son coût élevé et les difficultés rencontrées pour le reproduire en limitent considérablement l'usage, laissant aux aveugles un important déficit d'information. C'est pourquoi dans les années 1950, lors de la diffusion sur le marché grand public des moyens d'enregistrement sonore tels que disques, bandes et cassettes, certains n'ont pas hésité à prédire la fin prochaine du système braille. Il n'en fut rien pour de multiples raisons : nombreux sont tout d'abord les aveugles qui ont des difficultés de concentration et mémorisation à l'audition ce qui les oblige à prendre des notes en braille ; retrouver une information sur une bande ou cassette n'était pas aisée jusqu'à l'apparition très récente du codage numérique de la parole, technologie qui, dans les prochaines années, est en voie de remplacer les supports analogiques ; plus faciles à conserver, moins volumineux que les cassettes ou bandes magnétiques, aisés à modifier en cas de nouvelle édition de l'ouvrage, offrant une meilleure qualité de son, les supports digitaux qui ne seront bientôt plus seulement utilisés en lecture comme les CD ROM actuels, proposent un accès direct à l'information recherchée et économisent ainsi un précieux temps au lecteur. D'autres inconvénients du sonore par rapport au braille apparaîtront plus loin lorsque nous traiterons des synthèses vocales. Nous découvrirons cependant que, loin de s'opposer, braille et sonore se complètent pour apporter à la personne aveugle de façon simultanée, des informations qui lui sont indispensables pour accéder à l'interface graphique.

 

( 1970 voit le début de l'ère de l'électronique, et les aveugles n'y échappent pas. Un nouvel appareil : l'OPTACON, vient temporairement et en apparence seulement, mettre le braille en péril en promettant aux aveugles une lecture rapide et universelle de l'imprimé. Comme avec Valentin HAÜY, l'OPTACON reproduit en relief la forme propre à chaque caractère, maintenant identifiée par une caméra qui balaye le document à lire ; ce système a rendu bien des services et l'OPTACON, décrié par certains, reste aujourd'hui encore utilisé par d'autres qui en sont satisfaits ; le guidage de la caméra, l'identification des caractères, freinent sensiblement la vitesse de lecture qui reste ainsi très inférieure à celle atteinte par un bon brailliste. Cet appareil n'en est pas moins le précurseur des systèmes de reconnaissance optique des caractères (O.C.R) et des scanners utilisés aujourd'hui pour la saisie automatique de textes. Vers les années 1985, une société française commercialise un nouvel appareil nommé "DELTA" semblable à l'OPTACON mais dont l'avantage consistait à produire, sur un écran braille éphémère, les caractères reconnus par la caméra ; les aveugles fondèrent sur lui beaucoup d'espoirs, ils furent déçus et la production du "DELTA" définitivement arrêtée, son fabricant n'ayant pas les moyens financiers nécessaires pour le faire évoluer.

 

( En 1976, Pierre SCHNEIDER-MAUNOURY, lui-même aveugle et Secrétaire Général de l'Association Valentin HAÜY, demande à une société française de réaliser le Digicassette, plage tactile de douze caractères braille, qui emmagasinait sur cassette magnétique à partir d'un traitement de texte spécialement conçu, les données tapées à l'aide d'un clavier braille à six touches. L'ancêtre de toutes les plages tactiles ultérieures était né, chaque caractère de "braille éphémère" est formé par la combinaison de six lames piezzo représentant chacune un point de la lettre braille. Tous les constructeurs utilisent aujourd'hui encore cette même technologie dans les plages 10, 20, 40 ou 80 caractères qui constituent les périphériques braille des ordinateurs.

 

 

 

 

 

 

 

II - 1975-1995 : HUIT POINTS A LA POINTE DU PROGRES.

 

Le braille s'adapte encore.

 

A partir de 1975, l'informatique entre doucement mais sûrement dans notre vie quotidienne : en France, dans nos foyers, le Minitel prend peu à peu sa place près du téléphone pour nous ouvrir des services nouveaux (annuaire électronique, consultation d'horaires, réservation de billets ou places de spectacle, commandes à distance) ; le mot "informatique" s'éclaire au fur et à mesure que des termes comme ordinateur, imprimante, traitement de texte, logiciel passent dans le langage commun. Un seul mot effraie beaucoup les non-voyants car il est un objet purement visuel : l'écran. Son introduction dans les bureaux et administration ne risque-t-elle pas de nous rejeter au bas de l'échelle professionnelle et de rendre plus difficile encore notre mise au travail ?

 

Par bonheur, nos problèmes ont très vite mobilisé une partie des chercheurs en informatique, qu'il s'agisse d'universitaires qui conçoivent des logiciels spécialisés pour la transcription de textes en braille par exemple, ou de grandes compagnies qui mettent au point et sur le marché les premiers matériels spécialisés : le constructeur français SAGEM fabrique par exemple des imprimantes braille qui le plus souvent, faute d'ordinateur, sont commandées soit par l'intermédiaire de leur clavier AZERTY, soit au travers des bandes perfor,es placées dans le lecteur. Permettez-moi ici d'évoquer un souvenir personnel : au début de mon activité professionnelle, en 1976, j'étais très fier d'avoir dans mon bureau une telle imprimante grâce à laquelle je pouvais reproduire sur papier des textes braille en un petit nombre d'exemplaires ce qui était infiniment plus agréable que de dupliquer ces documents sur thermoforme.

 

Mais revenons à l'écran pour constater qu'avec les programmes DOS, son contenu était relativement facile à lire sur la ligne braille installée au bas du clavier de l'ordinateur, qui reproduisait en relief le texte vu à l'écran. Ce dernier comportant 25 lignes de 80 signes chacune, il était aisé pour l'utilisateur de se déplacer dans la page au moyen des touches fléchées du clavier.

 

Deux problèmes essentiels apparurent cependant très rapidement, qui conduisirent à une nouvelle évolution du braille :

( tout d'abordé dans notre système d'écriture traditionnel, les 64 combinaisons ne suffisaient pas pour reproduire l'ensemble des caractères usuels et notamment les lettres majuscules, italiques, les chiffres etc. il avait donc été nécessaire de placer des "préfixes" devant certains caractères : les points 4-6 indiquent par exemple que la lettre suivante est en majuscule ; or, ces signes supplémentaires ne permettaient plus d'avoir une exacte similitude entre l'écran ordinaire et la plage braille, cette dernière étant totalement décalée par rapport à l'affichage vidéo ; lorsque le texte se présentait en colonnes, on imagine aisément la difficulté.

 

( De plus, le code informatique ASCII comporte 256 caractères qu'il était indispensable de représenter en braille. C'est pourquoi l'ajout d'un point 7 sous le point 3 et d'un point 8 sous le point 6 a été rendu nécessaire. Mais ne nous y trompons pas : le braille 8 points est beaucoup moins lisible sous le doigt, il doit donc être réservé à ceux qui en ont strictement besoin et non imposé à l'ensemble des aveugles braillistes, alors que tous les afficheurs braille possèdent une commande qui permet d'inhiber les deux points inférieurs. Les publications qui nous sont destinées continuent, heureusement, d'être faites en braille six points.

Pour conclure sur ce point, je voudrais insister sur le préjudice que nous cause l'absence d'un code braille informatique standardisé ; en effet, faute d'un code normalisé, les constructeurs et développeurs implantent sur leurs plages tactiles braille et dans leurs logiciels des codes arbitrairement choisis, de sorte que le passage d'un appareil à l'autre perturbe considérablement leurs utilisateurs.

 

Examinons à présent l'apport considérable que la micro-informatique a apporté au braille, puis, par ricochet, ceux non moins importants qu'elle a apporté aux non-voyants dans leur vie de tous les jours.

 

Les apports de la micro-informatique au braille.

 

A. L'écriture du braille.

 

Comme le constatait Christian COUDERT dans un excellent exposé présenté par lui en novembre 1991 : "Jusqu'à ces dernières années, nous ne disposions pour écrire en braille que de tablettes ou de machines à écrire de type PERKINS. Aujourd'hui, nous disposons des micro-ordinateurs standard et d'une diversité de plus en plus étendue d'appareils spécialement conçus à notre intention qui peuvent d'ailleurs, le plus souvent, se connecter eux-mêˆmes à un micro-ordinateur". Ces possibilité d'écriture a changé notre vie : les étudiants peuvent aujourd'hui prendre des notes de façon silencieuse dans les amphithéâtres, évitant ainsi de devoir enregistrer les cours pour les recopier ensuite au prix d'une perte de temps considérable ; notons ici que dans de nombreux pays, le coût du matériel, tant pour les étudiants que pour les travailleurs aveugles, est pris en charge soit par l'Etat soit par un organisme spécialisé. Soulignons encore que sur certains ordinateurs ou appareils portables, le non-voyant peut rentrer son texte soit sur le clavier AZERTY, soit sur un clavier six touches identique à celui des machines PERKINS ; cette seconde solution présente l'avantage de permettre une prise de notes en abrégé, voire en braille sténographique, d'où une plus grande rapidité. Depuis peu, des logiciels ont été mis au point pour permettre la reconversion d'un texte entré en braille abrégé, de sorte que l'étudiant peut, s'il le souhaite, passer ses notes à ses collègues ou ses travaux aux professeurs.

 

Nous n'insisterons pas ici, bien qu'il soit considérable, sur l'apport de la micro-informatique à l'imprimerie braille. Pour l'apprécier, il suffit de constater la multiplication du nombre de telles imprimeries : chaque école a aujourd'hui la sienne, des associations locales, voire même des particuliers proposent chaque mois de nouveaux titres. Moins de cinq grandes imprimeries fonctionnaient en France il y a vingt ans, on en compte aujourd'hui une centaine d'inégale importance. Le texte à imprimer est, soit saisi au clavier, soit entré dans l'ordinateur par lecture optique à l'aide d'un scanner, après quoi il est corrigé à l'écran et préparé pour être traité par un logiciel de transcription en braille intégral ou abrégé; cette opération terminée le texte est généralement relu par un correcteur non-voyant avant d’être imprimé soit sur papier, soit sur plaques plastiques ou métalliques si le tirage est supérieur à quelques dizaines d'exemplaires. La simplicité de ces opérations successives est grande, notons cependant qu'elles se complexifient sensiblement pour la production d'ouvrages scolaires pour lesquels il convient d'adapter les maquettes, légendes, de remplacer souvent les diagrammes par des commentaires. Quoi qu'il en soit, la diffusion du braille s'est considérablement amélior,e qu'il s'agisse d'ouvrages de référence, de romans, revues, journaux ou même de partitions musicales. Notons enfin qu'une petite société française (BRAILLE-SOFT) produit chaque semaine un périodique de référence sur disquettes : "le monde hebdomadaire", elle compte plus de deux cents abonnés ; par ailleurs, plus de 300 ouvrages sont édités par elle sous cette même forme, plus de 500 lecteurs ont fait l'acquisition du logiciel de lecture ce qui prouve le succès de cette solution. Si la production du braille sur papier reste encore relativement onéreuse, il n'en est pas de même de la diffusion d'ouvrages sur disquette qui est d'autant moins coûteuse que l'éditeur accepte de communiquer les supports informatiques sur lesquels il a dé‚jà saisi le texte. BRAILLE-SOFT a donc des contrats avec les principales maisons d'édition, il est vivement souhaité, que de tels échanges s'amplifient dans l'intérêt des non-voyants.

 

B. La Lecture du Braille.

 

Comme nous l'avons vu, la plage tactile est d'une lecture aisée, elle donne une exacte représentation de l'écran vidéo ; bien paramétrée, elle est en mesure de signaler à son utilisateur l'état des caractères : couleurs, surbrillance, gras etc. ; le suivi d'un ou plusieurs curseurs peut aussi être automatisé de même que la vitesse de défilement des lignes synchronisée avec celle à laquelle l'utilisateur lit le braille. Une même plage braille contient différentes tables de caractères, soit préconçues, soit définies par l'utilisateur. On croit rêver, seul le prix de ces équipements nous ramène à la réalité : plusieurs dizaines de milliers de francs.

 

Le texte lu peut provenir de différents supports : disquettes et CD-ROM sont actuellement les plus répandus, mais le non-voyant peut aussi accéder directement à l'information, grâce au modem de son ordinateur, qui lui ouvre les portes de différents réseaux : Minitel, Internet par exemple. Le braille nous met à égalité avec nos correspondants, nous pouvons‚ changer des disquettes, dialoguer avec eux sur Minitel ou Internet sans même qu'ils sachent que nous sommes handicapés visuels.

 

Grâce aux lecteurs optiques ou scanners, dont les logiciels de reconnaissance des caractères ont fait de considérables progrès ces dernières années, il est aujourd'hui relativement aisé de reproduire en braille de multiples documents imprimés ou dactylographiés : correspondance, relevés bancaires, ouvrages de toutes sortes. Ceux-ci peuvent être lus directement sur la plage tactile de l'ordinateur conservés en mémoire, mis sur supports ou imprimés. Là encore, le rêve est devenu réalité.

 

Enfin, les aveugles sont de plus nombreux à utiliser régulièrementm, dans leur vie personnelle ou professionnelle, des calculatrices dotées d'écrans braille ou de synthèses vocales. Finis les cubes ou bouliers chinois à manipuler pour faire une opération élémentaire. Cela peut paraître anodin, mais, pour nous, ce fut un grand progrès.

 

C. Stockage et conservation des documents.

 

Chacun sait que l'un des inconvénients majeurs du braille est son encombrement. Alors que nos amis bien voyants mettent aisément dans leur serviette un code civile, un roman ou un petit dictionnaire, il en allait tout différemment pour nous. Il est rare qu'un petit ouvrage ne fasse pas plus d'un volume braille, un dictionnaire demande plusieurs mètres de rayonnage ce qui freine considérablement l'appétit de connaissances du plus avide d'entre nous. Aujourd'hui, grâce aux disquettes et encore davantage aux CD-ROM, ce problème est définitivement réglé. La capacité d'un seul CD-ROM de 12 cm de diamètre dépasse 500 Mega-octets, 250.000 pages de texte, 1.000 livres braille de 200 pages chacun. Même si de nombreux CD-ROM contiennent des informations graphiques ou sonores qui tiennent beaucoup de place en mémoire, la situation n'a rien de comparable à ce qu'elle était avant l'apparition de ces nouveaux supports.

 

 

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, disquettes et CD-ROM, conserv‚s dans de bonnes conditions, auront une longue, voire même une très longue durée de vie ce qui n'était pas le cas du braille sur papier. Plus d'écrasement des points : la qualité des cellules piezzo-électriques, des plages tactiles n'est plus à démontrer; plus de livres poussiéreux, passant entre les mains plus ou moins propres de dizaines de lecteurs. Enfin, grâce à ces nouveaux supports, il est aujourd'hui possible de tirer un ouvrage ou une partition musicale à la demande comme le fait l'Association Valentin HAÜY pour alimenter la bibliothèque, pour les clients de son imprimerie, ou pour les musiciens qui font appel à son service de transcription.

 

Mais si l'informatique a beaucoup apporté au braille, elle a aussi beaucoup apporté aux non-voyants.

 

Les apports de la micro-informatique aux aveugles.

 

Pour débuter ce chapitre, nous emprunterons de nouveau quelques phrases au rapport de Christian COUDERT cité plus haut. Il écrit : "L'apport le plus prodigieux de l'informatique est sans doute le traitement de texte qui, enfin, nous donne la souplesse d'écriture que connaissent depuis toujours les personnes voyantes. En effet, avec un stylo, il est aisé de corriger, raturer, souligner, bouleverser tout un texte. Un document braille, une fois écrit, à l'aide d'une tablette ou d'une machine PERKINS, ne pouvait subir aucune modification sous peine d'altérer ses qualit‚é de lisibilité et sa clarté. L'ordinateur nous permet aujourd'hui d'insérer ou de supprimer instantanément autant de mots lignes ou paragraphes que nécessaire, de corriger des erreurs, d'inverser l'ordre des paragraphes, de fusionner plusieurs documents". Le fait d'avoir, comme les voyants, accès aux correcteurs orthographiques intégrés à la plupart des programmes de traitement de texte, revêt pour nous une importance toute particulière : en effet les documents auxquels nous avions accès étant relativement peu nombreux, il n'était pas rare que nous commettions des fautes d'orthographe portant sur des mots d'usage, même assez fréquents.

 

Nous avons déjà brièvement évoqué la richesse des informations ou banques de données auxquelles nous pouvons à présent accéder via les différents réseaux de communication. Il convient de dire quelques mots sur les efforts faits par certains journaux, notamment en Suisse, Italie ou dans certains pays scandinaves, pour donner aux non-voyants un accès immédiat à l'actualité. Chaque jour, ou plus exactement pendant la nuit, les salles de rédaction envoient par télétransmission les données qui composent le journal, sur l'ordinateur du lecteur. Celui-ci en prendra connaissance lorsqu'il le souhaitera, dans la journée soit sur son afficheur braille, soit par l'intermédiaire de sa synthèse vocale. L'utilisation du programme de lecture est extrêmement simple, ce qui permet à toute personne, même béotienne en informatique, d'y accéder : les commandes se donnent uniquement par le déplacement du curseur, qui permet de choisir une rubrique ou un article dans une liste. Une utilisatrice Suisse témoigne : "A part les actualités politiques qui m'intéressent en premier lieu, je dispose d'une foule d'informations concernant les domaines les plus variés : prévisions météorologiques, résultats des matches de football, questions touchant à l'économie et à la finance, recettes de cuisine, horoscopes etc. Pour arriver à ce beau résultat, il m'a suffit de posséder un PC et d'être reliée à la télévision par câble ; l'appareil nécessaire est incorpor, à l'ordinateur et ne prend que peu de place". En France, il est fort regrettable qu'aucune expérience de ce type n'ait abouti à ce jour ; deux quotidiens régionaux diffusent bien, six jours par semaine, une version braille de leurs éditions locales, le plus ancien, qui a sa propre imprimerie braille, compte quelques 200 abonnés, l'autre ne dépasse pas la vingtaine. Compte tenu du nombre de plus en plus important de non-voyants qui disposent aujourd'hui d'un ordinateur, il y a fort à parier qu'un quotidien télétransmis rencontrerait un vif succès.

 

 

 

III - DEMAIN EN ROSE ET GRIS.

 

Si pour le monde des aveugles les nouveautés informatiques ont apporté un progrès certain, d'autres développements se profilent comme une menace : en effet, l'avenir est aux interfaces graphiques et le fossé culturel s'élargit entre les environnements DOS et WINDOWS. Pour les voyants, une image est plus parlante que des mots. C'est cette philosophie qui se trouve derrière le concept des surfaces graphiques, que le programme MS-WINDOWS, par exemple, nous a fait connaître et dont le but est de faire de l'utilisation d'un ordinateur personnel un jeu d'enfant, même pour les non-initiés. Des pictogrammes sur l'écran indiquent ce qu'il faut faire, et la fonction désirée peut être sélectionnée et activée au moyen de la souris. Or, chacun sait que la présentation de l'information en écriture braille, comme d'ailleurs en langage synthétique, reste strictement linéaire ou séquentiel et ne permet pas le pointage d'un élément particulier. Pour qu'un aveugle arrive à travailler dans un environnement WINDOWS ou MAC, il est nécessaire que d'une part ce qui se trouve sur l'écran comme l'arrangement des fenêtres et des éléments de commande (menus) soit décrit de manière verbale, et que d'autre part les opérations soient réalisables par des commandes au clavier. Mais plus les performances des ordinateurs et des techniques de manipulations graphiques à l'écran évoluent, plus l'interprétation du dialogue devient difficile pour les handicapés de la vue.

 

Même si plusieurs firmes ont développé des programmes qui doivent nous donner accès à WINDOWS, nous ne disposons pas aujourd'hui d'une solution WINDOWS entièrement prête, à même de fonctionner sans problème avec tous les moyens auxiliaires et de supporter parfaitement les programmes d'application les plus courants : WORD pour l'élaboration de textes, EXCELL pour la préparation de tableaux, ACCESS pour la gestion d'une base de données, boîte aux lettres électronique pour l'échange d'informations. Pour l'instant, la ligne braille et la synthèse vocale qui deviennent d'ailleurs complémentaires, ne nous donnent qu'une petite partie de ce qu'une personne sans handicap visuel voit sur l'écran. Et encore ce petit extrait se réduit-il à des caractères et à des signes : aucun graphique, aucune image, pas de couleurs, pas de contrastes de brillance ni de formats différents ; la façon dont nous voyons l'écran équivaut à lire au moyen d'une petite fenêtre qui ne permet qu'une vision limitée. Notre méthode de travail avec le programme WINDOWS diffère donc forcément de celle d'une personne dont la vue est normale : nous n'utilisons guère la souris mais travaillons avec les touches du clavier, nous n'activons pas les commandes depuis la barre d'outils mais depuis les menus, nous ne pouvons pas vérifier si ce qui apparaît sur l'écran correspond exactement à ce qui va être imprimée, mais nous sommes pour cela dépendants d'informations descriptives complémentaires.

 

En résumé, il existe différentes solutions qui permettent l'accès des aveugles à WINDOWS :

L'une d'elle (SCREENREADER d'IBM) vise à rapprocher autant que possible la méthode de travail de celle utilisée jusqu'ici sous DOS et à oublier les éléments graphiques qui ne sont pas absolument nécessaires ;

Une autre (VIRGO DE BAUM) essaie de présenter les différents éléments de WINDOWS selon une structure hiérarchique logique dite "arbre"; on trouve dans cette famille le matériel français VISIOBRAILLE où l'utilisation d'une application est facilitée par la création de (sous-fenêtres) ou par des liens entre les objets et les mots, ce que l'interface graphique ne permet pas d'emblée. D'aucuns diront que cette méthode nous renvoie aux appareils dédiés, elle facilite pourtant grandement les manipulations ;

 

Une autre (WINDOT de PAPENMEIER) consiste à ce que la transcription pour les aveugles restitue aussi exactement que possible tout ce qui apparaît sur l'écran; dans cette famille, on trouve aussi JAWS de VISUAIDE qui fait appel à un accès multimodal afin de combiner les différents modes de perception pour une meilleure représentation ;

La solution "DRACULA" d'EUROBRAILLE prélève à la source les informations en mode texte avant que WINDOWS ne les transforme en mode graphique. Les fonctionnalités de navigation sont alors collées aux caractères des mots qui représentent les objets de l'interface graphique ; grâce aux touches Clio interactives, la personne aveugle, sans s'écarter de la plage braille, navigue dans l'environnement graphique d'un ordinateur comme un clairvoyant avec la souris.

 

Le choix entre ces différentes solutions dépendra des caractéristiques cognitives de l'opérateur, mais aussi et surtout du travail qu'il devra effectuer. De toute façon, il faudra chercher de manière plus conséquente à faire que la transcription en braille et la reproduction par synthèse vocale soient des moyens complémentaires et non simplement utilisés en parallèle.

 

Il conviendra aussié dans l'intérêt des utilisateurs aveugles, de réduire le nombre de fabricants de plages braille : on en trouve presque une dizaine sur le marché français : ALVA, BAUM, EUROBraille, HANDIALOG, HANDYTECH, TECHNIBraille, TELESENSORY, TIEMAN, pour ne citer que les principaux. Cette grande diversité qui pourrait se justifier si le marché était très important (ce qui n'est heureusement pas le cas) présente de multiples inconvénients : tout d'abord, chaque plage ayant ses propres commandes, l'utilisateur ne peut aisément passer d'une plage à l'autre ; ainsi, nos étudiants, formés sur un certain matériel, rencontrent-ils parfois bien des difficultés lorsqu'une entreprise accepte de les prendre en stage sur un poste de travail adaptée doté d'une autre plage. De plus, et cela revêt aujourd'hui une importance toute particulière, chaque constructeur doit développer ses propres "drivers" afin que son produit puisse être utilisé avec les différents logiciels permettant par exemple d'accéder à WINDOWS. Notre Centre de Formation possède ainsi une quarantaine de plages braille d'un certain type, qui fonctionnaient parfaitement avec la première version de VIRGO, ce n'est pas le cas avec la seconde, le constructeur ayant décidé à présent de travailler avec JAWS ; souhaitons que nos démarches auprès de lui le convainquent de développer les nouveaux "drivers" car, dans le cas contraire, ce serait pour nous une catastrophe : il faudrait renouveler tout notre parc de matériel.

 

Bien connaître les programmes et leurs fonctions sera pour nous plus que jamais indispensable. Les nombreux nouveaux concepts tels qu'icônes, boutons, boîtes de dialogue sont déconcertants pour le novice. L'environnement WINDOWS présente cependant aussi des lois très claires et des processus standardisés ; l'une des forces des programmes WINDOWS réside dans le fait qu'ils sont semblables sur plusieurs points ce qui facilite considérablement l'apprentissage d'un nouveau programme. Il est donc très utile d'étudier attentivement ces éléments récurrents et d'apprendre par exemple à lancer un programme, à le quitter, à ouvrir un fichier, à traiter les données qu'il contient. Le bon formateur sera celui qui se montrera en mesure de trouver les manipulations en adéquation avec la performance recherchée et la personnalité recherchée.

 

Il est aujourd'hui presque certain que nous allons à grands pas vers le "tout graphisme" ce qui permettra d'ailleurs l'éliminer la barrière de la langue, et de proposer des logiciels directement au niveau mondial ; les raisons d'espérer encore dans l'avenir tiennent d'une part en la normalisation, d'autre part en l'obligation faite aux constructeurs par la loi américaine de rendre leurs produits accessibles aux personnes handicapées. Dans ces conditions, le nombre de produits utilisés tendant à diminuer, les adaptations seront certes difficiles mais utiles à une majorité de déficients visuels ; souhaitons que cette normalisation, qui doit sans cesse tenir compte des innovations, s'adapte aussi aux minorités et en particulier à celle que constitue les personnes handicapées.

 

Avant de conclure, disons encore quelques mots de l'adaptation de l'Internet pour les non-voyants. Ce réseau des réseaux, né dans les années 70, s'est considérablement développé depuis quelques années, il permet aujourd'hui d'établir une communication instantanée entre une quarantaine de millions d'individus branchés à travers le monde, communication d'idées, de préoccupations, d'espoirs et de déceptions, de passions aussi, honorables ou dégradantes. Sur Internet on trouve de tout, du meilleur et du pire, sans doute de plus en plus d'informations susceptibles de faciliter la vie quotidienne des non-voyants : journaux, télé-achat, transactions bancaires, textes classiques de la littérature française, ouvrages de référence etc. Jusqu'à présent, il est encore possible de naviguer en mode texte sur la très grande majorité des sites WEB ; il semble cependant que l'apparition de NETSCAPE 2.0 et l'utilisation des "frames" (sorte de fenêtres qui divisent l'écran) rendent de plus en plus de sites inaccessibles. Pis encore, on expérimente de plus en plus la "réalité virtuelle" qui permet de se déplacer dans un contenu comme dans un environnement en trois dimensions : le jour n'est pas loin où on accédera à son compte bancaire en simulant la façon dont on se rend, physiquement, à la banque ou au guichet automatique. Les internautes aveugles doivent donc intervenir auprès des créateurs de pages WEB pour leur faire part des problèmes rencontrés et rechercher avec eux des solutions adaptées : affichage d'une brève description à la place d'une image, conception et mise en place d'un serveur téléphonique qui donnerait un accès sonore au contenu des pages WEB pour tous les usagers du téléphone, qu'ils soient aveugles ou non.

 

 

 

 

CONCLUSION.

 

La place du braille a considérablement évolué depuis quelques années : l'informatique adaptée nous a ouvert des horizons nouveaux dans notre vie personnelle ou professionnelle. Et pourtant, ce génial système n'est encore pas utilisé de façon optimum : il reste beaucoup à faire pour adapter les billetteries automatiques par exempleé donner aux non-voyants un accès immédiat aux documents administratifs, inciter les concepteurs, associer un texte aux images pour en transcrire le contenu ou prévenir le lecteur qu'une image est insérée. Les sites qui mettent en oeuvre des séquences animées réunissant image, texte et son resteront incontrôlables avec un écran braille, ils le deviendront peut-être le jour où le braille sera lui-même efficacement associé à la parole et aux indications sonores. Il a encore, selon nous, de belles années à vivre.